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« Mesdames, Messieurs,
La profession de sage-femme est aujourd’hui à bout de forces. Elle traverse une crise sans précédent qui me conduit aujourd’hui à sortir de ma réserve et à publier cette lettre ouverte. Si le mal-être est ancien et profond, la profession est actuellement en danger : son avenir est désormais compromis. Mais pire, c’est en réalité la santé et les droits des femmes qui sont menacés.
Les sages-femmes, après 18 mois de crise sanitaire, sont désabusées par le Ségur de la santé et les récentes annonces ministérielles. Depuis des décennies, notre profession essentiellement féminine au service des femmes est méconnue, méprisée et négligée.
Le statut et la place des sages-femmes évoluent à la marge de crise en crise, sans réelle considération quant aux conséquences sanitaires et sociétales de ces choix. Leurs missions et compétences s’adaptent régulièrement aux urgences de santé publique sans vision globale et cohérente de la santé sexuelle et reproductive en France et sans valorisation.
La crise sanitaire que nous traversons a, quant à elle, révélé au grand jour les insuffisances de notre système de santé et leur impact sur les patients, notamment les femmes. Ainsi, professionnels et usagers de la périnatalité partagent un même constat : manque de personnel, manque de temps pour accompagner les patientes, manque de prise en compte des attentes des femmes et des couples, ruptures de parcours, épuisement des professionnels…
Notre modèle périnatal est archaïque et déshumanisant. Il est parfois source de violences et de souffrances pour les femmes mais aussi pour les soignants qui ne peuvent pas répondre correctement aux besoins et aux attentes des femmes et des couples.
En réponse aux problématiques du système périnatal, des mesures dérisoires et inadaptées ont été proposées dans le cadre de “l’engagement maternité” : prise en charge des transports ou nuitées en amont de l’accouchement pour les femmes résidant à distance des maternités, alors même qu’il est impossible de prévoir de façon précise le jour de l’accouchement et en éludant les difficultés familiales que cette mesure suppose.
La révision des décrets de périnatalité datant de 1998 – qui définissent notamment le nombre de professionnels de périnatalité dans les salles de naissances – se limitera aux seuls centres périnataux de proximité, qui n’accueillent pas d’accouchements.
Dès lors, quelle peut être la portée d’une politique des 1000 jours, si les questions fondamentales des effectifs dans les maternités et la construction de parcours centrés sur les besoins des femmes sont ignorées ?
Sans reconnaissance, sans valorisation et avec un exercice dénaturé, les sages-femmes sont de plus en plus nombreuses à quitter les maternités et à fuir la profession. Notre métier se meurt lentement en fragilisant la qualité et la sécurité de la prise en charge des femmes et leurs droits fondamentaux.
Le métier des sages-femmes, dans un système de santé construit sur la pathologie, est pourtant particulier et porteur de valeurs essentielles : autonomie des femmes, liberté de disposer de son corps, respect de la physiologie et du choix des femmes. L’essence de notre profession médicale est ainsi d’accompagner les grossesses quelle qu’en soit l’issue et d’assurer le suivi gynécologique de prévention. Les sages-femmes agissent au quotidien en autonomie avec pour principal outil la prévention pour préserver la physiologie, éviter la surmédicalisation afin de garantir aux femmes leurs droits fondamentaux génésiques et permettre leur émancipation.
Malheureusement, la réalité est bien différente. Les compétences des sages-femmes sont méconnues par le grand public faute d’informations et leur autonomie est étouffée par le patriarcat et le corporatisme. Le dernier rapport IGAS concernant la profession en affirmant une autorité médicale, intellectuelle et morale des gynécologues sur les sages-femmes en est la parfaite illustration.
De même, les attaques de certains médecins contre nos compétences gynécologiques et orthogéniques sont méprisantes et démontrent que le corporatisme prime malheureusement trop souvent sur la santé des femmes. Les sages-femmes en s’engageant fortement dans l’orthogénie et le suivi gynécologique ont démontré que c’est l’intérêt des femmes qui doit prédominer.
Derrière le développement de l’exercice autonome des sages-femmes se cache donc en réalité l’enjeu majeur de l’émancipation des femmes, de leur santé et de la naissance. Les attentes sociétales sont fortes. Par exemple, les accouchements à domicile, faute d’organisation par les pouvoirs publics, se déroulent dans la quasi-clandestinité mettant en danger les femmes et leurs nouveau-nés.
En fermant les yeux sur les attentes des femmes, qu’elles concernent leur santé génésique, leurs conditions ou leur lieu d’accouchement ; en fermant les yeux sur les indicateurs de périnatalité qui stagnent et se dégradent ; en fermant les yeux sur les attentes légitimes de la profession de sage-femme, quelle importance les pouvoirs publics portent-ils à la santé des femmes ?
Il est plus que jamais temps de donner aux sages-femmes un statut et un positionnement conformes à leur rôle et d’accorder enfin à la périnatalité et à la santé des femmes des moyens suffisants si l’émancipation des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes est réellement une grande cause sociétale.
Mesdames, Messieurs, je vous remercie de l’attention que vous porterez à ce cri d’alarme et vous prie d’agréer mes considérations les plus sincères. »