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Interview d’Olivia PLAISANT, sage-femme en suivi global, Présidente de l’association Le Temps De Naître, Vice-présidente de l’association du Collectif des Maisons de Naissance françaises.
La maison de naissance (Le Temps de Naître, Guadeloupe) où vous exercez existe depuis 4 ans. Quels obstacles ont dû être surmontés dans le cadre de sa création ?
Ç’a été plutôt une succession de challenges ! Le premier a été de constituer une équipe de sages-femmes en 5 jours, puis de convaincre en une semaine un établissement de santé de nous accueillir. Il ne restait plus que 3 semaines pour penser le fonctionnement futur et rédiger tous les documents nécessaires au dossier de candidature.
Une fois notre projet retenu pour l’expérimentation, il a fallu s’armer de patience et de persévérance pendant plus de 9 mois pour obtenir le démarrage des travaux et suivre ceux-ci de près pour que l’aménagement intérieur soit satisfaisant dans l’espace contraint que nous avions obtenu.
Parallèlement, nous avons travaillé à nous faire connaître de l’équipe de la maternité, des professionnels du réseau de périnatalité, des médecins généralistes, de la presse, de l’ARS, de la Caisse Générale de Sécurité Sociale. Nous avons été au contact des professionnels pour écouter les craintes, les rassurer sans cesse, faire preuve de pédagogie et d’ouverture, toujours.
Je salue et remercie la direction de la Clinique Les Eaux Claires qui a saisi rapidement le caractère innovant de notre projet et qui nous a fait confiance pour le réaliser, ainsi que l’ensemble de l’équipe de la maternité qui nous a fait une place à son côté.
Nous avons dû très rapidement développer d’autres compétences au-delà de notre seule pratique clinique, des compétences de gestion de projet, de rédaction, de communication, de lobbying, de travail collaboratif avec les sages-femmes et les usagers des autres maisons de naissance. Nous avons su rechercher l’information, nous entourer d’experts : comptables, commissaires aux comptes, avocats pour nous conseiller. Nous avons appris à gérer une association, à faire un budget, nous avons innové et expérimenté différents modes de fonctionnement.
Nous avons aussi mis en place une vraie dynamique d’équipe avec les sages-femmes en suivi global et les sages-femmes d’appui, grâce à des staffs réguliers d’échanges sur les pratiques, de débriefing pour chaque naissance, de simulations de situations d’urgence.
La gestion de la maison de naissance est horizontale et implique les sages-femmes en suivi global dans le fonctionnement et la gestion de la maison de naissance. Nous avons ainsi un suivi global de la maison de naissance également en gérant tous ses aspects, administratifs, techniques et financiers en plus de sa direction médicale.
Aujourd’hui, quel bilan pouvez-vous tirer pour les usagers : y a-t-il une plus forte demande ? Les patientes semblent-elles plus familières avec la notion de physiologie ?
La demande a été présente dès le début et a été très vite supérieure à l’offre. Les parents qui nous contactent à la suite d’une recherche sur internet sont motivés par la physiologie car les mots clés utilisés sont « accouchement naturel » et « accouchement dans l’eau ». D’autres nous contactent à la suite d’un reportage radio ou télévisé et maintenant principalement par le bouche-à-oreille, motivés aussi par le suivi global. D’autres encore sont adressés par leur gynécologue ou leur sage-femme qui ont entendu leur souhait d’accouchement physiologique, et maintenant de plus en plus sont adressés par des parents qui ont eux-mêmes accouché à la maison de naissance.
Qu’apporte les maisons de naissance à l’exercice des sages-femmes ?
L’exercice en maison de naissance offre la possibilité d’exercer son art en toute autonomie, cela apporte une très grande humilité car on apprend à s’arrêter aux limites de la physiologie, qui correspondent également aux limites de notre exercice autonome. Notre sens clinique se développe, car on observe plus qu’on n’intervient. L’exercice est très diversifié et fait appel à toutes nos compétences médicales et relationnelles. C’est enrichissant et toujours nouveau car on accompagne des familles avec des styles de couple, de parentalité, des contexte variés, c’est nous qui nous adaptons à eux et apprenons à les connaître pour mieux les accompagner.
Ces temps d’échange avec les couples avant la naissance nous apportent des clés précieuses sur là où sont leurs peurs, leurs souhaits, pour mieux accompagner au moment de la naissance.
C’est aussi très gratifiant car on accompagne les familles sur plusieurs mois, on les voit cheminer et quel bonheur maintenant quand les parents reviennent nous voir pour la grossesse suivante ! On est sage-femme de famille !
Quelle relation entretiennent les sages-femmes et les femmes dans les maisons de naissance ?
Il y a toujours une proximité qui s’installe au fil des consultations avec le couple, leurs enfants qui les accompagnent. Cela se fait plus ou moins vite en fonction de chacun. Une relation de confiance se tisse avant le jour de la naissance au fil des consultations et des préparations à la naissance, le jour de la naissance il n’y a plus besoin de parler. Cette relation se renforce avec le suivi à domicile après l’accouchement car on vient chez eux, et là encore on peut mieux s’adapter à leur réalité. Nous avons la chance de partager un moment intime de la vie des familles et d’avoir leur confiance, ils comptent sur nos compétences professionnelles et notre empathie.
Quelle est la nature de la relation entre la maison de naissance et la maternité attenante ? Cette expérimentation a -t-elle permis de lever des freins préexistants ?
La relation avec l’équipe de notre maternité partenaire est respectueuse et confraternelle, chaleureuse aussi. Elle s’est construite et s’entretient au fil des réunions de débriefing sur les transferts, les échanges sur nos pratiques respectives différentes et complémentaires. Il n’y a pas de relation de hiérarchie mais une relation de collaboration et de complémentarité dans le respect des compétences de chacun. Le principal frein est la peur de l’inconnu qui se nourrit d’idées reçues inexactes, le contact et les échanges permettent d’apporter de la clarté, de comprendre là où sont les inquiétudes pour mieux les prendre en compte et respecter les limites de chacun.
L’expérimentation a permis selon moi de montrer que l’on pouvait faire confiance au professionnalisme et à la responsabilité des sages-femmes.
L’équipe de la maternité appréhendait les transferts urgents, ils se sont vite aperçus que les transferts se faisaient dans de bonnes conditions, car ils avaient tout le contexte grâce à nos transmissions.
Il y avait aussi l’appréhension pour les professionnels de la maternité d’affronter la déception des parents de ne pas réaliser leur projet à la maison de naissance et d’avoir le « mauvais rôle ». Là aussi le dialogue avec l’équipe pour expliquer les attentes et le vécu des parents a permis de beaucoup apaiser ces craintes. L’expérimentation a permis aussi d’encore mieux prendre en compte la demande des familles pour plus de physiologie et plus d’intimité.